Archives de Catégorie: Woman power

Libération du corps

photo_plage_000412

Dans deux semaines, je serai sur une plage du Panama à me la couler douce. Je suis contente de dire que le fait de devoir me mettre en maillot de bain, tenue assez peu magnanime s’il en est et d’exhiber ma peau blafarde (pardon, d’albâtre) ne me pose plus autant de problèmes qu’il y a une dizaine d’années. Ce qui ne veut pas dire que je sois entièrement libérée du poids des regards et de la pression qui entoure l’image idéale de la femme, image complètement inatteignable.

La perspective de devoir se mettre en maillot de bain fait vendre des milliers de magazines féminins tous les ans aux alentours du printemps. Si vous les lisez, vous vous rendez rapidement compte que les vacances à la plage ne sont plus un plaisir, mais une véritable épreuve dont peu de femmes sortent indemnes.

Entre les exercices à faire trois mois avant pour raffermir des fesses, faire disparaître le bourrelet de trop, les gommages et les exfoliations pour « préparer au bronzage », l’auto-bronzant pour donner l’illusion qu’on n’a pas vécu dans une grotte pendant 9 mois, les maillots de bain flatteurs selon les silhouettes qu’il faut bien sûr acheter, les paréos, les sacs, les lunettes de soleil, les chapeaux, les huiles pour les cheveux indispensables pour toute femme qui se respecte, ces deux pauvres semaines de vacances se transforment en quête de perfection et en un allègement certain du porte-monnaie. N’oublions pas qu’il s’agit de vacances, le moment de l’année où on est censé se relaxer, oublier le train-train quotidien, mettre les doigts de pied en éventail et siffler des cocktails à 14h00 de l’après-midi, à l’ombre d’un parasol.

Mais rien n’est simple pour une femme. Il ne s’agit pas simplement de profiter du soleil et de la mer : il faut le faire avec un corps parfait, sans aucun poil, avec des cheveux bien nourris, une peau scintillante et une pédicure parfaite. Si vous ne répondez pas à ces critères, vous n’êtes pas une femme et vous vous soumettez au jugement des autres. Enfin, c’est ce qu’on veut nous faire croire. Ça m’a pris plusieurs années, je l’avoue, mais aujourd’hui je me fous bien de savoir si ma voisine de serviette est épilée, je me contrefous qu’elle soit ridée, que ses seins tombent ou que son ventre soit flasque. Je me fous même du moule-burnes de mon voisin de plage, de son ventre Heineken ou de ses trois poils sur le caillou. Leurs silhouettes « hors normes » (entendez, normales) ne m’agressent pas. Tant qu’eux ou leur progéniture ne hurlent pas dans mes oreilles, ils peuvent exhiber tout le gras et tous les poils qu’ils veulent, je m’en tape.

De la même façon, je me fous que mes pieds soient dans un sale état à cause du roller derby. Je me fous d’avoir des bleus aux cuisses, aux tibias, des rougeurs sur des jambes d’un blanc quasi fluorescent. Je refuse de complexer parce que je ne me suis pas épilée le maillot ou que j’ai du ventre et je ne m’affamerai pas pour avoir un « corps prêt pour le bikini ». Mon corps est prêt pour le bikini à partir du moment où j’en enfile un, de bikini.

Je ne dis pas que je ne vais pas me regarder dans la glace en soupirant quand je serai en maillot de bain, ni que je n’aurais pas envie de cacher mes pieds dans le sable. Je vais même sûrement un peu obséder sur ma cellulite. Ce n’est pas facile de se libérer de cette idée de corps lisse et jeune, quand il s’agit de la seule référence acceptée. Mais je sais que la seule chose qui m’inquiète réellement à l’approche de ces vacances, ce sont les coups de soleil et les piqûres de moustiques. Tout le reste est accessoire.


Où sont les andrologues ?

louvre-statuette-dun-roi-heracles

À parler de pilules, de contraception et en lisant le dernier numéro de Causette sur les règles, je me suis demandé vers où les hommes se tournaient quand ils voulaient parler de leur système reproducteur à eux. Je crains malheureusement que la réponse soit : personne.

Si pardi, il y a l’urologue. Mais je pense que pour beaucoup d’hommes, urologue est synonyme de problèmes de prostate, donc de vieillesse. Je ne connais pas un seul homme qui m’ait dit, au détour d’une conversation, qu’il s’était rendu chez un urologue, alors que les femmes parlent de leur gynéco avec une relative aisance. Nous discutons facilement de nos règles, ovulations, pilules, DIU, implants, de notre dernier frottis.

Je pense vraiment que c’est une chance de pouvoir se confier sans tabou sur ces sujets-là. Ado, je me souviens très bien de la gêne de mes petits camarades masculins pour tout ce qui concernait les règles. On en a toutes connu : ils confondaient tampons et serviettes hygiéniques, lançaient des « elle a ses règles ! » moqueurs sans avoir la moindre idée de ce qui pouvait bien se cacher derrière ça.

Mais à moins d’être élevées par la mère de Carrie, nous, les filles, savons très tôt qu’il existe des médecins dont c’est la spécialité de nous conseiller sur notre système reproducteur. Nous apprenons à parler avec eux de nos rapports sexuels, de notre vie intime. Et les hommes, qu’est-ce qu’ils ont de leur côté ? Personne. On me rétorquera que l’éventail des problèmes gynécologiques de la femme est beaucoup plus large que l’éventail des problèmes sexuels des hommes et que nous avons besoin de consulter plus souvent. C’est vrai. Pourtant les hommes eux aussi des problèmes. Problèmes dont ils ont généralement honte de parler.

S’ils ont honte, c’est parce que la société veut nous faire croire que les hommes sont tous des loups de Tex Avery, obsédés par le sexe, tout juste capables de fidélité tant leur désir est incontrôlable, parce que même si l’on est en 2013 on trouve encore des articles dans les journaux sur des études bidons qui lient virilité et ménage… Parce qu’on nous explique que la sexualité des hommes se résume à trois grands E : excitation, érection, éjaculation. Qu’avoir des baisses de libido, c’est une affaire de femmes, après tout ce sont elles qui ne sont pas capables de séparer désir et envie, qui pensent au mariage et au bébé dès qu’elles couchent avec un homme… Et qu’être fertile n’est qu’une préoccupation féminine…

Sauf que dans la réalité, rien n’est aussi simple. Les hommes ne sont pas ces créatures primaires qu’on nous vend partout, intéressés uniquement par le sport, les voitures et le cul, qu’il est possible de manipuler avec la simple promesse d’une pipe et qui sont comme les scouts, toujours prêts, loin des interrogations sur la paternité et la reproduction.

Les femmes savent tout ça (enfin, certaines j’imagine), mais c’est comme si les hommes l’ignoraient. Alors, vers qui se tournent-ils pour parler de leurs angoisses d’infertilité ou des douleurs qu’ils pourraient ressentir ? À personne.

Je pense que la société patriarcale, en plus d’opprimer les femmes, ne rend pas forcément les hommes plus heureux. Au contraire, en ne définissant la « virilité » que par quelques idées grossières, en faisant croire aux hommes que leur sexualité se doit d’être simple, elle entraîne le mal-être de tous ceux qui, à un moment donné, ne rentrent pas dans ce moule.


La question de la pilule

pilulesDepuis que Marion Larat a porté plainte contre les laboratoires Bayer et maintenant que l’utilisation de Diane 35 comme moyen de contraception va peut-être ENFIN être interdite en France, on entend beaucoup parler de la pilule et pas forcément de façon intelligente. J’ai remarqué qu’on essaye surtout de faire peur (ce n’est pas nouveau cela dit). Donc la première chose que j’ai envie de dire, c’est de ne surtout pas arrêter sa pilule. Le danger de grossesse non désirée est bien supérieur au danger d’AVC.

Maintenant, si vous pensez qu’un autre moyen de contraception vous conviendrait peut-être mieux,  je vous invite à trouver un généraliste/gynéco qui sache un minimum de quoi il ou elle parle. Comme j’ai tendance à me méfier énormément des médecins suite à de très mauvaises expériences, je me suis beaucoup renseignée ces derniers mois sur le sujet.

J’ai donc voulu faire un petit article récapitulatif sur la pilule. J’espère avoir bien compris l’essentiel des débats et ne pas dire trop de bêtises.

D’abord, je tiens à préciser que la pilule n’est pas le seul moyen de contraception à la disposition des femmes, contrairement à ce que semble croire la majorité des médecins et gynécos français. J’hésite depuis longtemps à me faire poser un DIU (stérilet), mais que je n’ai pas encore franchi le pas. J’aurais pu le faire en Angleterre, où les médecins sont bien plus ouverts à ce contraceptif qu’en France, mais je n’ai jamais eu trop de problèmes avec ma pilule. Je l’aime bien même. Elle me permet de contrôler l’arrivée de mes règles, je l’oublie assez rarement et en prenant un comprimé tous les soirs, j’ai l’impression d’être vraiment protégée contre une grossesse. Je ne suis pas sûre qu’un DIU me rassure autant (c’est complètement psychologique hein, les DIU sont plus efficaces que la pilule dans la pratique). Pour faire bref, jusqu’à ce que je rencontre un gynéco épatant qui me propose LE moyen de contraception qui me convienne, je la garde, ma pilule.

Bon, mais c’est quoi d’abord, une pilule de 3e génération ?

C’est simplement une pilule commercialisée dans les années 90 et contenant un progestatif plus récent que les pilules de 1re et 2e génération. On pourrait croire que qui dit progestatif plus récent, dit « plus efficace, avec moins d’effets secondaires », mais en fait pas du tout. Ce progestatif, associé à l’estrogène, augmente considérablement les risques d’AVC, en particulier quand ils sont donnés en première prescription à des femmes de moins de 25 ans. C’est pourquoi les pilules de 3e génération estro-progestatives ne devraient jamais être prescrites aux jeunes femmes dont c’est la première contraception… Ce fut malheureusement le cas de Marion Larat.

Premier gros FAIL des gynécos français, qui les ont prescrites à foison malgré les très nombreuses études de leurs confrères qui leur disaient pourtant que ces pilules estro-progestatives de 3e génération n’étaient pas plus efficaces que celles de 2e génération et qu’elles augmentaient même le risque d’AVC. D’après Martin Winckler, médecin spécialiste de la contraception, « Le risque plus élevé des pilules de 3e génération est connu et publié par les revues scientifiques depuis le milieu des années 1990 !!! En 1996, La revue Prescrire alertait déjà les médecins français sur le sujet. »  Même la Haute Autorité de la Santé l’avait dit en 2007.

Si je pointe du doigt les gynécos  et non les généralistes c’est parce que ces derniers ont beaucoup moins prescrit ces pilules de 3e génération que leurs confrères « spécialistes »… Ce qui m’amène à cette deuxième question :

Mais alors pourquoi les gynécos ont-ils prescrit des pilules plus dangereuses et souvent non remboursées ?

Une seule raison qui ne va surprendre personne : ce sont les gynécos, et pas les généralistes, qui ont été la cible du marketing des labos pharmaceutiques. C’est aussi simple que ça et c’est pourquoi on continue à avoir des scandales comme celui de la pilule de 3e génération et du Médiator. Il ne faut pas chercher plus loin. Tant qu’on ne contrôlera pas le marketing des labos pharmaceutiques auprès des médecins, ce genre de scandale sanitaire continuera de se produire.

C’est sûrement parce qu’elle avait eu la visite d’une gentille représentante que mon ancienne gynéco parisienne m’a proposé de passer d’une pilule de 2e génération à une pilule de 3e génération. Naïve que j’étais, je me suis dit qu’un contraceptif plus récent serait certainement meilleur pour ma santé. C’est normal non ?

Sauf que ma gynéco de l’époque ne m’a pas dit que cette pilule augmentait les risques d’AVC (surtout que je fumais à l’époque) et que je ne pourrais la prendre que jusqu’à mes 35 ans, puisqu’après ça elle est carrément contre-indiquée. Bon d’accord, c’était il y a au moins, pfff, 10 ans, j’étais donc encore jeune et fringante, mais quand même, j’aurais préféré qu’elle m’en parle, que je prenne la décision avec elle. J’aurais peut-être opté pour conserver ma pilule combinée de 2e génération (qui était remboursée, ELLE).

Tout ça pour dire qu’aujourd’hui, j’ai décidé de changer de pilule et de passer à une pilule progestative, certes de 3e génération, mais sans estrogène, donc inoffensive. Elle est plus contraignante à prendre et je ne sais pas encore ce qu’elle va donner sur le long terme, mais je croise les doigts pour ne pas avoir d’acné et pour qu’elle endorme complètement mon ovulation, de cette façon je n’aurais pas à m’inquiéter d’avoir mes règles de façon inopinée.

Voilà quelques liens et articles qui peuvent vous intéresser :

Liste des contraceptifs et leur génération

Très bon article sur Euronews

Article du planning familial

Rubrique Contraception et gynécologie sur le site de Martin Winckler 

Et surtout, n’hésitez pas à poser des questions à votre généraliste ou votre gynéco. Ils sont là pour y répondre. Pas pour vous imposer un traitement qui ne vous conviendrait pas…


Pourquoi j’irai manifester samedi

affiche_102

Je suis hétéro, le mariage n’a jamais été une priorité pour moi, je n’en ai jamais rêvé. Je ne me suis jamais vue en robe blanche, encore moins avec un bouquet de fleurs, dire « oui » à Sébastien alors que ça fait 18 ans qu’on est ensemble et qu’on s’est encore dit récemment qu’on avait hâte d’être des petits vieux ensemble. Ni lui ni moi ne voulons d’enfant. Nous n’avons pas de projet immédiatement d’achat d’un appartement ou d’une maison. Nous n’avons vraiment aucune raison objective de nous marier, notre situation actuelle nous convient parfaitement.

Pourtant, samedi, j’irai manifester à Bordeaux pour le mariage pour tous, pour l’égalité des droits et pour prouver aux gens qui pensent qu’ « un papa, une maman, y’a pas mieux pour un enfant » qu’ils ne sont pas majoritaires, loin de là.

Cet idéal de la famille hétérosexuelle a fait plus de dégâts qu’elle n’a apporté de réconfort et de sécurité au fil des générations. On ne peut pas toujours savoir à quoi notre vie va ressembler. On ne peut pas tous suivre les voies toutes tracées de ces couples qui se marient à 20 ans, qui font deux enfants avant de souffler leurs 30 bougies, ont de préférence un garçon et une fille, et qui restent ensemble jusqu’à la mort, comblés d’amour.

Ces familles, j’ai presque envie de dire qu’elles n’existent pas. À la télé, peut-être, mais pas dans la vraie vie ! Dans la vraie vie, il y a des couples qui se marient par amour, d’autres par convention, des couples qui ne s’aiment qu’un temps seulement, des couples qui restent ensemble « pour les enfants », mais qui ne se parlent plus ou se détestent en silence et font au final plus de dégâts qu’un divorce. Il y a des couples que la mort sépare. Il y a des pères et des mères qui prennent la poudre d’escampette. Il y a des couples en apparence bien sous tous rapports qui cachent violences verbales, violences physiques et inceste. Il y a des familles unies dont les enfants sont profondément malheureux, prennent de la drogue et finiront en taule ou à la morgue. Il y a des enfants à qui l’on ment depuis qu’ils sont nés « pour les protéger » et qui, découvrant la vérité, doivent se reconstruire. Il n’y a pas de famille idéale, il n’y a que des familles qui font ce qu’elles peuvent.

Le fait d’être élevé par un papa et une maman ne garantit pas d’être équilibré et bien dans ses baskets. Ça se saurait si c’était le cas. L’être humain est bien trop complexe pour être réduit à une équation « papa+maman=tout va bien ».

Il me semble qu’un enfant ne se construit pas seulement grâce à ses parents, il se construit avec et contre eux (surtout à l’adolescence), il se construit avec l’entourage des parents, leurs amis, leurs familles, les autres enfants autour d’eux, l’école. Un enfant se construit aussi tout seul, mais ça, de nombreux parents ne sont pas prêts à l’accepter… Avoir peur qu’un enfant connaisse le manque de « l’amour maternel » en étant élevé par deux hommes ou dire que l’absence de « figure paternelle » est un danger, c’est se tromper complètement sur ce qui permet à un enfant de grandir sereinement. Un enfant a surtout besoin d’être aimé et respecté.

Ils me font rire avec leurs histoires de « complémentarité » et « d’équilibre des pouvoirs » qui disparaîtraient si un couple de parents homosexuels élevaient des enfants. Ils veulent vraiment nous faire croire que deux papas ne peuvent pas apporter assez d’amour et que deux mamans en apporteraient trop ? Bonjour les clichés sexistes. Dans leur esprit bien à l’étroit, il existe tellement de différences entre un homme et une femme qu’il leur est tout simplement impensable qu’un homme puisse être aussi aimant qu’une femme ou qu’une femme puisse faire preuve d’autorité sur un enfant. Je trouve ça d’une tristesse absolue. Pour moi, il y a autant de différences entre un homme et une femme qu’entre deux hommes ou deux femmes. Nous sommes tous des individus uniques, avec nos différences propres. Arrêtons un peu de penser que les hommes et les femmes viennent de deux planètes différentes, le monde s’en portera mieux… Et sera plus en phase avec la réalité.

Samedi, à 14h, je serai donc Place de la Comédie à Bordeaux pour manifester. Et j’espère que nous serons nombreux dans ce cas-là.


Le corps, cet ennemi juré

Dans son excellente autobiographie « Why Be Happy When You Could Be Normal? » (Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?), Jeanette Winterson écrit, à propos de son expérience dans des bains publics (je précise qu’elle est lesbienne) :

« Looking at women was not really sexual for me. […] looking at women was a way of looking at myself and, I suppose, a way of loving myself. »

Je traduis librement, n’ayant pas lu la version française : « Regarder les femmes n’a jamais eu de connotation sexuelle pour moi. […] C’était une façon de me regarder et, je crois, une façon de m’aimer. »

Je pense que l’industrie de la beauté verrait ses bénéfices chuter considérablement si toutes les femmes se regardaient nues les unes les autres, comme Jeannette Winterson l’a fait, pour apprendre à s’aimer. Si on pouvait toute aller dans des bains publics, nues, et se regarder vraiment, je suis convaincue qu’on arrêterait de vouloir maigrir, perdre sa cellulite ou effacer nos cicatrices. Je pense qu’on se rendrait très vite compte qu’aucun corps n’est pas parfait ou qu’au contraire, ils le sont tous, on arrêterait de complexer sur des corps que l’on déteste dès le moment où l’on comprend qu’ils ne ressemblent pas aux images photoshoppées des magasines. Regarder le corps des autres femmes, c’est voir la beauté dans chacun d’entre eux, apprendre à poser un regard bienveillant sur le corps imparfait normal des autres femmes et apprendre à se regarder avec la même bienveillance.

Comme toutes les femmes autour de moi, j’ai passé une bonne partie de ma vie d’adolescente et d’adulte à ne pas l’aimer, ce corps, justement. Et je me dis aujourd’hui que c’était un beau gâchis.

Comment voulez-vous qu’on puisse prétendre au bonheur si tout au fond de nous, il y a constamment une voix qui nous dit « ne reprend pas de chocolat, tu vas grossir, tu es déjà trop grosse, tu es moche, tu es trop petite, trop grande, tu as des boutons sur le visage, des rides quelle horreur !, tes jambes sont des poteaux, tes fesses sont trop grosses/plates/trop petites, tes seins sont trop petits, trop gros, tu vas vraiment rependre un morceau de fromage, t’es SÛRE ? ».

Et pourtant, c’est avec ça que l’on vit. Tous les jours. Cette idée sous-jacente que nous ne sommes pas parfaites, qu’avec 10 kilos de moins, 10 cm de plus, la vie serait plus belle, on serait enfin heureuse, on pourrait enfin acheter cette robe qui nous plaît tant, ce pantalon moulant. C’est une idée complètement fausse et sournoise, puisqu’on sait tous(toutes) inconsciemment que même si l’on atteignait son « poids idéal » (je déteste ce concept), rien ne pourrait garantir que l’on soit heureuse. Surtout si on n’apprend pas à s’aimer entièrement, corps « parfait » ou pas.

Ça me rappelle une conversation que j’ai eue avec mon amie Gillian une fois en rentrant de l’équitation. Elle me racontait avec nostalgie les années où elle était plus mince qu’aujourd’hui et avait adopté ce discours typiquement féminin du « ahah, c’était le bon temps, je faisais 15 kilos de moins, ah ah, si seulement je pouvais perdre les kilos que j’ai en trop… ». Je l’ai regardée et je lui ai demandé si elle était plus heureuse que maintenant à cette époque-là. Elle s’est arrêtée quelques secondes avant de me répondre d’un très franc : « Non, je ne l’étais pas. Je n’étais pas plus heureuse avec 15 kilos de moins ».

J’avais ce billet en tête depuis longtemps, et puis Olympe a publié le sien aujourd’hui sur le même sujet, du coup je me suis lancée. Je vous invite à mon tour à consulter ce beau projet qui rejoint exactement ce que je pense et à lire ce blog collaboratif qui me dit qu’on a encore tellement de chemin à parcourir avant d’être aussi à l’aise que cette femme qui pose nue :

Nu project


Beauty and the geek

Je ne suis plus vraiment ce qui se passe dans la vie tumultueuse de nos stars préférées, mais j’ai appris ce matin par hasard que Jason Segel et Michelle Williams étaient ensemble. Pour ceux qui ne les connaissent pas, sachez seulement que Michelle Williams est une très jolie actrice et que Jason Segel est un acteur enrobé, pas moche, mais pas vraiment beau non plus, qui n’est disons pas doté d’un charisme à faire chavirer les coeurs. Bref, il est ordinaire. Je suis sûre qu’il a plein de qualités, que c’est un homme drôle, charmant, intelligent, mais le fait est qu’il est assez quelconque physiquement, alors que Michelle Williams correspond parfaitement aux critères de beauté de la société actuelle : elle est mince, blonde et elle fait beaucoup d’efforts pour être à la mode, efforts dont Jason Segel semble être dispensé.

Bon, je me  fous un peu de qui Michelle Williams peut bien tomber amoureuse, mais cette nouvelle m’a fait penser à tous ces films où Jason Segel sort avec de très belles actrices : Kristen Bell et Mila Kunis dans Forgetting Sarah Marshall, Cameron Diaz dans Bad Teacher, Emily Blunt dans The Five-Year Engagement.

Personne ne peut dire qu’ils jouent dans la même ligue.

Y’a pas à dire, on est bien dans une société où la beauté est définie par les hommes : au cinéma, à la télévision, un type quelconque, enrobé, mal fagoté, aura toujours la possibilité de partager l’écran et le lit de filles sublimes, tout le monde trouve ça normal. Et je n’aurais aucun problème avec ça s’il y avait l’équivalent pour les femmes ordinaires, or, on ne voit jamais d’acteurs super sexy tomber amoureux d’un personnage féminin joué par une actrice quelconque, un peu enrobée et qui s’habille chez Kiabi.

Imaginons une seconde la très populaire série Castle avec des rôles inversés. Dans le rôle de Beckett, un acteur d’un sex-appeal équivalent, un type grand, musclé, toujours bien coiffé et bien habillé. De l’autre, imaginons Castle joué par une actrice qui aurait certes beaucoup de charme, mais 30 kilos de trop et 8 ans de plus que Beckett. J’aime autant vous dire que la série n’aurait pas le succès qu’elle a actuellement. J’adore Nathan Fillion hein, je le trouve génial, sa présence seule suffit à me faire regarder la série, mais ce n’est pas Ryan Gosling non plus, faut pas déconner. Son charme suffit pourtant à en faire un partenaire acceptable pour la magnifique Stana Kanic.

Imaginons la série française Bref avec pour héroïne une fille d’une trentaine d’années enrobée, des cheveux filasse et des fringues démodées. Aurait-elle pu conquérir le coeur d’un bellâtre, l’équivalent de la bombe avec qui le héros emménage dans la série ? Non. Alors oui, je sais, le héros finit par se rendre compte qu’il est amoureux de la fille « normale », mais quand même. Il a réussi à pécho une fille qu’on dirait sortie d’un magazine. Ce qui n’est pas un problème en soi, je me répète : le problème c’est que l’inverse ne se voit jamais à la télé.

Il y a une longue tradition d’actrices sublimes que l’on met en couple fictif avec des acteurs qui n’ont pas grand-chose pour eux. Ça pourrait paraître anodin, mais ça ne l’est pas tant que ça, comme pour beaucoup de clichés et de stéréotypes. La société semble accepter (et encourager) l’idée que les femmes sont moins attachées à l’apparence que les hommes et qu’un homme peut séduire n’importe qui à partir du moment où il est drôle, intelligent, ou riche (ce dernier étant incroyablement insultant envers la gent féminine, mais malheureusement entretenu par toutes les matérialistes et tous les hommes superficiels de ce monde). De l’autre côté, on explique aux femmes que si « elles se laissent aller », elles ne trouveront personne capable de les aimer. Que pour que l’amour dure, il faut rester désirable, c’est-à-dire jeune et mince. Y’aurait pas comme un problème ?


La ségrégation par le rose

Au milieu de cet océan de consommation, heureusement que le marketing est là pour nous dire ce qui nous plaît à nous, les filles. Sans lui, comment aurais-je pu savoir qu’il me fallait un bic spécialement conçu pour mes doigts fins et délicats ? Comment savoir qu’il me fallait un livre écrit juste pour moi pour apprendre à me servir d’un Mac ou d’un PC ? Quelle cruche je fais. Pourtant, c’est bien connu, on ne peut pas parler de la même façon à une fille qu’à un garçon, nos cerveaux ne fonctionnent pas de la même façon enfin ! Pour intéresser une fille, il faut du rose et des paillettes ! Prenons les Kinder surprises. Quelle tristesse de devoir jouer avec des figurines unisexes ! J’avoue, petite, j’étais souvent déçue d’ouvrir mon oeuf et de découvrir une petite voiture à monter. Une petite voiture ! Pourquoi pas un char ou un tournevis tant qu’on y est ? Heureusement, les nouveaux Kinder roses pour filles sont arrivés. Avec des fées anorexiques dedans ! Ouf, ça va mieux, les petites filles n’auront plus à devoir jouer avec des jouets de garçon.

C’est comme les LEGO®. Quand j’étais petite, il fallait que je me contente de jouer avec des briques de toutes les couleurs et des petits personnages neutres. Il n’y avait pas de différence entre les LEGO® pour filles et les LEGO® pour garçons, le but c’était de faire fonctionner son imagination et de construire tout ce qui nous passait par la tête. De quoi perturber toutes les petites filles de la planète ! On a eu de la chance de ne pas toutes devenir des garçons manqués, c’est sûr.

Heureusement, LEGO® a remédié à ce grave manque en créant une collection spéciale petites filles, avec des figurines plus grandes et et des vraies activités de filles : faire des muffins dans un café, aller au salon de beauté et s’occuper d’animaux. Le tout dans des tons pastel of course. C’est sûr qu’on n’imaginerait pas une seule seconde qu’elles puissent avoir envie de jouer à Harry Potter ou de construire des trucs. Quelle horreur !

J’ai toujours détesté le rose et les paillettes, mais j’ai l’impression que ces dernières années, c’est devenu une véritable épidémie. J’en discutais récemment avec une amie qui a une petite fille et qui me confiait qu’elle avait beaucoup de mal à trouver des vêtements qui ne soient pas rose ou pastel. Ça ne m’étonne pas. Quand j’étais en France le mois dernier, j’allais souvent faire une pause dans la journée sur une petite place non loin de la maison où était installé un manège. Je me suis amusée à compter le nombre de filles qui n’étaient pas habillées en rose. C’est bien simple, j’en ai compté UNE. Sur une trentaine de petites filles que j’ai pu croiser. UNE. Je crois qu’elle était en bermuda en plus, alors que toutes les autres étaient en jupe ou en robe. Je pourrais trouver ça mignon et inoffensif, mais non, je trouve ça rétrograde et très inquiétant, parce que cela démontre que le rose n’est pas l’alternative : c’est la norme. Et une norme de plus en plus ancrée.

Le rose, c’est la couleur du syndrome « princesse Disney ». Cendrillon, Blanche-Neige, cette pouff’ d’Aurore de la Belle au Bois dormant. Oubliées Mulan et Pocahontas, on parle ici de gentilles princesses pas très dégourdies qui ne peuvent compter que sur leur prince pour les sauver et qui ont de jolies robes bouffantes qu’elles font tournoyer lors d’un bal (c’est obligatoire, le bal).

Malgré les efforts de quelques parents, cette image de princesse est tellement répandue qu’elle contamine les petites filles du monde entier, jusqu’aux femmes adultes. Le rose, c’est la couleur de référence, celle qui nous identifie en tant que membre du sexe féminin. Ça et l’amour des sacs et des chaussures, apparemment. Il nous faut même des stylos spéciaux pour pouvoir signer des reçus de carte de crédit ou prendre des notes pour apprendre à se servir d’un ordinateur.

MAIS AU SECOURS.

Que les choses soient claires, je ne veux pas interdire le rose. J’ai beau haïr cette couleur, je ne veux pas la voir disparaître de la circulation, tout comme je ne veux pas empêcher les petites filles de jouer aux princesses si ça leur chante. Je veux juste qu’on puisse avoir le choix et la possibilité d’habiller sa gamine en bleu vif, en rouge, lui mettre des salopettes, des pantalons, lui offrir des costumes de super-héroïne si on veut (même si là encore, les super-héros sont réservés aux petits garçons). Or, la possibilité, elle n’existe simplement pas. Rentrez dans un magasin de fringues pour enfants et vous verrez qu’il est très difficile de trouver des vêtements asexués, surtout à partir du moment où ils marchent ou qu’ils vont à l’école. Il n’y a que des petites robes à fanfreluches, des fleurs, des bandeaux à paillette et des chaussures cirées.

Les inégalités commencent dès la naissance et les plus gros dégâts de ce sexisme de ségrégation se font justement au moment de la socialisation des petites filles, quand on accepte des petits garçons qu’ils soient actifs et turbulents, mais qu’on demande aux petites filles d’être sages et d’être jolies, comme une princesse. Il commence quand des abrutis du marketing décident que les petites filles ne peuvent pas vouloir des jeux de construction à l’origine entièrement asexués, comme les LEGO® et qu’il leur faut des jeux à elles et uniquement à elles.

Ce que je veux, c’est plus de publicités comme celle-ci (elle date des années 70) :

Et moins de publicités comme celle-là :

C’est trop demander apparemment.

PS : je recommande chaudement l’analyse en deux parties des LEGO® sur Feminist Frequency.


Mythes et réalité du viol

Vous avez sûrement tous entendu parler de la déclaration, un peu plus tôt cette semaine, d’un politicien conservateur américain appelé Todd Akin. Il explique avec le plus grand sérieux possible qu’en cas de « viol véritable » (legitimate rape), le corps d’une femme « a les moyens de faire barrière ». Ben tiens. J’en connais un qui n’a pas bien suivi ses cours de SVT de 4ème.

Le retour de bâton ne s’est pas fait attendre et les condamnations ont été nombreuses.

J’aimerais en profiter pour parler des statistiques sur viol et toutes les fausses idées répandues à son sujet, parce que le viol est une des nombreuses injustices qui frappent les femmes uniquement parce qu’elles sont des femmes.

– En France, on estime que 198 000 femmes chaque année sont victimes de viol ou de tentative de viol. On estime à 75 000 le nombre d’entre elles qui sont violées. Pourquoi des estimations ? Parce que tous les viols ne sont pas reportés à la police. Parce que les victimes ont peur, honte, veulent oublier, une majorité d’entre elles ne porte pas plainte. L’organisme américain RAINN (Rape, Abuse & Incest National Network) estime que seuls 54 % des viols sont reportés à la police. En France comme aux États-Unis, moins de 3 % des procès pour viols se terminent par une condamnation du violeur. 3 %. Ce chiffre me fait déprimer.

– 74 % des viols sont commis par une personne connue de la victime. Quand on pense au viol typique, on pense au parking sombre ou à des allées mal éclairées, on pense à un être pervers qui a suivi sa victime pour la violer sauvagement à l’aide d’une arme. La réalité, c’est que le viol est surtout commis par une personne connue de la victime. Un ami, un ex, le copain d’un copain, un membre de sa famille. Le viol, ça se passe aussi dans la chambre conjugale. Vous savez qu’il a fallu attendre 1990 pour que le viol conjugal soit enfin reconnu par un arrêt de la cour de cassation en France ? 1990. Encore un chiffre qui fait déprimer.

J’ai l’impression qu’il va falloir que je répète ça jusqu’à la tombe, mais peu importe qu’une femme porte une mini-jupe, peu importe qu’elle ait bu, qu’elle ait « joué aux allumeuses », RIEN ne donne le droit à un homme de la violer. Je me fous que vous ayez la gaule, je me fous que vous ayez capté « des signaux », je me fous que vous pensiez le « mériter » : le corps d’une femme n’est pas à votre disposition. Il y a une différence entre avoir envie de quelqu’un et avoir envie de pénétrer une femme contre sa volonté, alors qu’elle est inconsciente, qu’elle se débat, qu’elle pleure ou qu’elle est paralysée par la peur. Arrêtons un peu de perpétuer l’idée que les hommes ont des envies irrépressibles ou même des « besoins » qui les poussent à pénétrer contre leur volonté des femmes. De mon point de vue, le viol est surtout une histoire de domination et de pouvoir, mais en même temps, j’ai envie de dire : arrêtons déjà de rejeter la faute sur les victimes et on réfléchira aux causes ensuite.

Car dans toutes les affaires de viol, j’ai toujours l’impression qu’on se focalise plus sur la victime, sur ce qu’elle portait, sur la quantité d’alcool qu’elle avait bu, sur ce qu’elle faisait seule à tel endroit ou sur ses prétendus motifs plutôt que sur le responsable. Parlons plutôt des violeurs, crions haut et fort qu’ils sont les seuls et uniques responsables. Ne leur trouvons pas d’excuse. Je rêve d’un jour où la première chose à laquelle les gens penseront quand ils liront une histoire de viol dans les journaux ou sur Internet, c’est « Ce pervers doit aller en prison » et pas « Quelle idée aussi de rentrer chez soi à 2h00 en ayant bu ! » ou « Les filles se servent du viol pour se venger, c’est bien connu », ou encore « Elle avait une tenue aguicheuse enfin, elle n’a pas qu’à porter une burka aussi, elle cherche les emmerdes ! ». Ce jour-là, je saurais que la société aura un peu évolué. En attendant, je continuerai à me battre pour qu’elle aille dans le bon sens.

Pour signer la pétition La honte doit changer de camp, c’est par ici.


La question du ménage

Ma belle-soeur, qui a accouché il y a un peu plus d’un mois, nous a raconté l’autre jour lors de notre séjour en France qu’elle a ressenti les premières contractions annonçant la naissance imminente de son bébé alors qu’elle cirait les marches de sa (très grande) maison, enceinte de 8 mois et demi. Je me suis étonnée et ai immédiatement demandé pourquoi elle et mon beau-frère, qui en ont les moyens, n’avaient pas encore embauché de femme de ménage. Les femmes alors présentes autour de la table m’ont unanimement répondu qu’elles n’aimeraient pas avoir quelqu’un qu’elles ne connaissent pas chez elles, que bon, quand même, il n’y a qu’elles qui savent comment bien nettoyer leur maison et qu’il y a une certaine satisfaction à avoir un intérieur propre et bien rangé.

Ça m’a fait réfléchir. Les hommes de la même tablée, pourtant nombreux, n’ont évidemment pas participé à la discussion : le ménage est une affaire de femmes, que je le veuille ou non. On est très loin de la parité dans ce domaine : les femmes assument encore 80 % des tâches ménagères. Je suis prête à parier qu’une large majorité de femmes estime d’ailleurs qu’il s’agit là de leur « domaine » et que c’est à elles que revient implicitement la responsabilité de veiller à ce que tout soit parfait dans la maison (frigo rempli, linge lavé, lit fait).

C’est là qu’à mon avis, on a un problème. Loin de moi l’idée de critiquer les femmes (et les hommes, rares) qui aiment faire le ménage, mais je pense que si nous sont tant attachées à la propreté de notre foyer, c’est parce que la société attend de nous que nous en prenions tacitement la responsabilité. Il suffit de jeter un oeil aux rayons des jouets pour filles, remplis de petites machines à laver roses, d’aspirateurs et de fours. Sans oublier qu’on a tendance aussi à nous glisser dans l’oreille dès l’enfance que pour « garder un homme », il faut s’assurer qu’il soit « bien » chez lui. Aïe.

Nous ne sommes pas des vestales, patientes et chastes, qui veillent devant l’antre en attendant que notre homme rentre à la maison en espérant secrètement que nos talents de cuisinière et de fée du logis l’empêchent d’aller voir ailleurs. Notre « domaine » n’est pas le foyer. Si vous apprenez à votre fille à se servir d’une machine à laver, faites la même chose avec votre fils. Le ménage n’est pas un « truc de filles ». Pour moi  ce sont des stéréotypes bien pratiques qui nous mettent dans des petites boîtes dans lesquelles nous rentrons avec le sourire parce que c’est rassurant. Bien sûr, chacun a le droit de s’épanouir dans le fait d’avoir un intérieur « parfait », qui reflète exactement qui ils sont et je comprends qu’on puisse trouver une certaine fierté à avoir un intérieur propre et bien rangé, mais je refuse de considérer que c’est là la seule responsabilité et l’une des rares fiertés des femmes, avec le fait de faire des mômes.


Reflets dans un oeil d’homme

J’aime beaucoup Nancy Huston. J’ai lu un grand nombre de ses romans ; Dolce Agonia et Lignes de faille font partie de mes préférés. J’ai été ravie d’apprendre qu’elle avait écrit un manifeste féministe, Reflets dans un oeil d’homme, je l’ai donc acheté lors de mon week-end à Bordeaux et lu la semaine dernière.

Je ne pensais vraiment pas qu’elle allait m’énerver à ce point.

Comment peut-on écrire des romans aussi féministes et s’enfermer à ce point dans un déterminisme d’un autre âge ?

Nancy Huston veut dénoncer la prépondérance de la théorie « de genre » dans la société actuelle, qu’elle considère comme absurde. Elle lui fait porter tous les maux de la terre phallocrate, mais le problème c’est qu’elle n’a pas l’air d’avoir compris en quoi consistait la théorie du genre. Elle pense qu’il s’agit de nier les différences biologiques, or ce n’est pas le cas. La théorie du genre invite à réfléchir à la façon dont les différences biologiques sont interprétées par la société et utilisées pour créer des inégalités.

Si l’on enferme encore, à l’heure actuelle, les femmes dans un rôle maternel, « passif » et les hommes dans un rôle conquérant, « viril », ce n’est pas seulement parce que la femme porte l’enfant et l’homme non. Nancy Huston a beau marteler tout au long de son livre que « l’anatomie, c’est le destin », je refuse de considérer l’être humain actuel comme un primate à peine évolué qui répond à des stimuli primaires de désir de fécondation. Oui, j’admets qu’éros et thanatos jouent un rôle important dans notre inconscient et que nous agissons parfois sur des pulsions de vie et de mort difficilement contrôlables, mais ils ne gouvernent pas notre vie. Elle oublie (volontairement ?) de parler d’homosexualité, de transsexualité et d’orientation sexuelle. Elle ne fait que survoler cette question  dans un tout petit passage, dans lequel elle affirme que les gays ne font qu' »[adopter] une version exacerbée de tant de comportements des hommes [et des femmes] hétérosexuels ». C’est un peu facile quand on passe 300 pages à expliquer que tous les hommes et toutes les femmes répondent à des impératifs biologiques de reproduction.

Des facilités, il y en a un paquet dans ce livre. Celle que je déplore le plus, c’est le recours aux interviews de ses amis peintres et musiciens. Ah, les amis. C’est sympa de vouloir les faire participer à son bouquin, mais franchement, pour la pertinence, on repassera. « Regardez, les hommes pensent comme ça, j’en ai trouvé 3 autour de moi qui disent la même chose ! ». Et les voilà qui déblatèrent sur le nu dans la peinture et sur la pornographie pendant des pages. Ce n’est pas complètement inintéressant, mais franchement, je ne vois pas en quoi je devrais prendre ce qu’ils disent comme une preuve que si l’homme regarde la femme, c’est parce qu’il veut lui faire des bébés.

L’intégralité de son livre se base sur son expérience de femme hétérosexuelle (et très belle, il faut le dire, même elle refuse de se qualifier comme telle), ce qui est incroyablement réducteur. Elle revient sur les différentes étapes de sa vie, enfant, adolescente, jeune femme, jeune mère, femme vieillissante, femme ménopausée. Ça aurait pu être intéressant si ça avait fait partie d’un roman, mais dans un manifeste, c’est beaucoup trop réducteur. Elle veut parler de toutes les femmes, mais au fond, elle ne parle que d’elle, de son expérience de femme hétérosexuelle désirable et désirée.

Pourtant, il y a des chapitres intéressants dans Reflets dans un oeil d’homme. J’ai par exemple beaucoup aimé celui consacré à la prostitution et le fait que tout au long de son livre, Nancy Huston parle beaucoup de Nelly Arcan, une écrivaine canadienne qui s’est prostituée et a écrit à ce sujet. Elle pose plusieurs problématiques importantes, mais sous-entend que les féministes ne sont pas prêtes à l’entendre, ce qui, je pense, est faux. La prostitution fait débat dans le féminisme, mais je suis pour ma part en désaccord total avec la vision libertaire d’Elisabeth Badinter, et du côté des abolitionnistes. Je rejoins Nancy Huston quand elle dénonce le fait que tout le monde est d’accord pour dire que c’est le plus vieux métier du monde et qu’il existera toujours, qu’il est un « mal » nécessaire, mais qu’en même temps, personne ne souhaite que ses enfants se prostituent. Il y a là une hypocrisie qu’il faut dénoncer. Sans oublier que les femmes qui se prostituent ont très souvent connu des abus sexuels pendant leur enfance, et que de nombreux hommes payent des prostituées qui ont l’âge de leurs propres filles. Il y a dans la prostitution des relents d’inceste dont personne ne veut parler, mais qui pourtant, existent.

Alors oui, Nancy Huston dit des choses intéressantes sur la prostitution, mais c’est bien peu sur un bouquin de 300 pages… Et surtout, les généralités et les raccourcis sont trop nombreux pour en faire un livre sérieux. C’est tout le contraire de Beauté fatale, de Mona Chollet.

Soit on parle de son expérience et on évite les généralisations, soit on parle du féminin et du masculin et on appuie ses réflexions d’arguments. Or, d’argument qui tienne la route, il y en a bien peu…