Je crois que je commence à vraiment me rendre compte à quel point le roller derby est un sport dangereux. Ce n’est pas comme j’avais été prévenue : lors du taster day (journée d’initiation), Betsy nous avait bien dit que nous nous blesserions sûrement à un moment ou à un autre au cours de la prochaine année, que si nous faisions un métier nécessitant d’être en relatif bon état, il valait mieux y réfléchir à deux fois avant de se lancer dans le roller derby. Les filles de l’équipe se sont toutes blessées à un moment ou à un autre depuis les deux ans et demi qu’elles pratiquent ce sport. Côtes cassées, genoux en vrac, coccyx fêlés, poignets et chevilles fracturés : la liste est longue.
Hier, à l’entraînement, une très bonne joueuse de l’équipe A s’est blessée à la cheville pendant le scrimmage. C’est une excellente patineuse, elle est en forme physiquement, musclée, bref, c’était la dernière personne que je m’attendais à voir se blesser.
J’ai moi-même évité la catastrophe d’un petit centimètre : je ne sais pas exactement comment c’est arrivé, mais je me suis retrouvée à foncer vers un mur à grande vitesse (pour dire vrai j’ai bien une petite idée sur la façon dont c’est arrivé). Je me suis protégée en repoussant le mur de ma main gauche et cette dernière, malgré la coque en plastique de mon protège-poignet, est endolorie aujourd’hui. Un arbitre pas loin m’a confié qu’il a bien cru que j’allais m’y mettre. Ouais, moi aussi.
Qu’est-ce que ça signifie, concrètement, de faire un sport où les blessures sont quand même assez courantes ? Avoir peur de se retrouver soi-même dans un plâtre pour une période indéterminée. Imaginer être incapable de faire ses activités habituelles. Devoir aller chez un kiné. Se ramollir de partout.
J’avoue, j’y pense de plus en plus. Je sais que c’est un peu étrange pour quelqu’un dont l’autre activité sportive consiste à monter des animaux imprévisibles d’où il est très aisé de tomber, mais voilà, avec du recul, je me dis que tout ça est un peu fou. Je me dis que si je me blesse, je ne pourrais m’en vouloir qu’à moi-même, que je ferais mieux de mettre à un sport moins dangereux, comme le cha-cha-cha. C’est très bien le cha-cha-cha.
Mais je me dis qu’il y a aussi beaucoup de blessures au foot, au rugby, au ski, au squash et que je ne conseillerai à personne d’arrêter de pratiquer un de ces sports si c’est sa passion. Pourquoi m’en voudrais-je de faire du roller derby ? Pourquoi penser que les gens ne comprendraient pas que je puisse vouloir continuer malgré les risques ? Je fais ce que je veux de mon corps, y compris le lancer sur des skates au milieu d’une piste remplie de filles qui veulent lui rentrer dedans. Pour la première fois depuis des années, j’ai l’impression d’en être en pleine possession, justement, de ce corps, et je suis enfin fière de ce qu’il est capable de faire. Je ne le vois plus comme un ennemi à combattre mais un allié.
Non, le roller derby n’est pas un sport sans risque, mais je crois que je préfère encore risquer de me blesser plutôt que d’abandonner.
Je sais aussi qu’on en reparlera si je me fais vraiment mal un jour…